Madame Butterfly : Une esthétique et la Mort du silence

Date
Nov, 11, 2024
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Inspiré d’un roman français de Pierre Loti Madame Chrysanthème, écrit en 1888, Puccini a sans doute créé son chef d’œuvre, Madame Butterfly, qui témoigne de la folie du japonisme dans la société européenne à l’époque.

©Chloé Bellemère/Opéra de Paris

Avec un style minimaliste, la mise en scène de Robert Wilson, présente un opéra « sourd ». Il n’y a aucun décor tape à l’oeil ni même superflu, tout ce que le public voit ce sont les changements de couleurs et de lumière et la composition géométrique de la scène. Cependant, dans ces décors muets il réside une latence esthétique et règne une atmosphère particulière.

©Chloé Bellemère/Opéra de Paris

Loin des splendeurs habituelles des scènes d’opéra, le style monochrome suscite une langueur chromatique tout au long de l’opéra. L’ambiance étouffante accentue la vie tragique de Cio-Cio-san. Dès le les premières notes et au lever de rideau, on sait déjà qu’il n’y aura pas une « happy ending » pour Cio-Cio-san, la tragédie s’annonce au moment où Lieutenant Pinkerton dit

Et au jour qui verra mes vraies noces, avec une véritable épouse… américaine.
(e al giorno in cui mi spouseròcon vere nozze a una vera sposa americana.)

©Chloé Bellemère/Opéra de Paris

Personnellement, même si je reconnais le haut niveau esthétique et la manière innovante de revoir ce classique, je ne suis pas exactement fan de la mise en scène « zen » de Robert Wilson. Néanmoins, même pour moi, qui préfère toujours les décors flamboyants, le suicide de Cio-Cio-san à la fin de l’opéra représente l’apogée de toutes les mises en scène modernes. La vacuité émanant de la scène et la simplicité des costumes ainsi que les gestuelles impulsent une force des plus puissantes à la désespérance de l’amour sans retour.

L’innovation la plus stupéfiante de cette représentation de Madame Butterfly de Robert Wilson est que Cio-Cio-san est interprétée par deux artistes : une chanteuse à l’avant-scène et une actrice sur scène. La voix d’Alexandra Marcellier est séraphique. Elle arrive aux gammes hautes comme sans effort, fait entendre aux spectateurs l’épanouissement de sa virtuosité. En même temps, le timbre de son chant garde la jeunesse et la naïveté de Cio-Cio-san, qui n’a que seulement quinze ans, bien qu’elle soit déjà une geisha.

D’un autre côté, l’interprétation physique de Cio-Cio-san sur scène par Marina Frigeni ajoute à l’ambiance écrasante de la mise en scène. Même si son mouvement aérien, la sensation qu’elle nous apporte n’est n’est ni apaisée ni romantique. Au contraire, cette quiétude qui traverse l’opéra signe le destin du personnage et sa mort inévitable.

©Chloé Bellemère/Opéra de Paris

La voix qui m’étonne le plus est celle de Suzuki, interprétée par Aude Extrémo. Elle a une tonalité très riche, très pleine. Quand elle chante, il semble que c’est la cloche d’une église qui sonne. En écoutant la coloration de sa voix, je peux « voir » une fille qui n’est pas seulement une servante mais, c’est le plus important, la protectrice fidèle et l’appui solide de Cio-Cio-san.

Cette production de Madame Butterfly est contemplative. Sur les silhouettes dessinées par les lumières et les mouvements, les déplacements des personnages, Robert Wilson transcende les espaces. Grâce aux lignes mélodiques et vocales, on traverse le temps et l’espace. Ce soir, les spectateurs se plongent par l’extrême stylisation dans drame de l’Extrême-Orient.

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